CAMILLE
Les cartons du départ commencent à s'amonceler, et avec eux
les livres à laisser derrière nous. Livres empilés sur le bureau ou sagement
rangés, livres écornés, ou jamais ouverts, ceux qui ont connu le supplice du
bain et qui, des années après, sont encore gondolés, gonflés, meurtris, livres
à lire, traductions...
Hier, une amie française et son mari japonais, francophone et francophile, sont
venu sur mon invitation dépouiller les étagères de leurs derniers locataires.
Je ne sais plus si j'ai dit merci : je me sentais à la fois redevable de leur
aide, et triste de voir partir cette masse de bouquins devenu un poids mort. Et
cette émotion, je m'en rend compte maintenant, est le fantôme d'une autre, bien
plus puissante, quand cette même amie emportait dans sa voiture mes rêves
brisés de paternité. Est-ce que j'ai dit merci ce jour là au moins ?